Le bidonville de Kibera, dans la banlieue de Nairobi, est représentatif de l’ambivalence de la société kenyane, qui se développe rapidement mais a du mal à inclure dans ce développement des pans entiers de sa population. Remplaçant une ancienne forêt dans laquelle le gouvernement colonial britannique avait installé des soldats nubiens revenant de la première guerre mondiale, il a accueilli par la suite un nombre grandissant de personnes venues dans la capitale pour chercher un emploi qu’elles ne pouvaient trouver dans leur province d’origine.
Un million d’habitants y vivent aujourd’hui, ce qui en fait le deuxième bidonville le plus peuplé d’Afrique, avec des conséquences tragiques : l’eau s’y vend en bidon, l’électricité est revendue à tarif élevé, le taux de criminalité est record, les égouts sont à ciel ouvert, les sanitaires y sont rares et le ramassage des ordures inexistant, ce qui fait qu’elles se déposent par strates et constituent le sol même. Malgré les efforts des nombreuses ONG qui travaillent ici, et d’un récent effort du gouvernement, encore bien du chemin reste à parcourir pour créer un environnement vivable.
Pourtant, beaucoup des habitants gardent un sourire qui laisse sans voix, mais contagieux lorsque l’on va à leur rencontre. En se promenant dans les ruelles, le contexte est parfois choquant mais la joie de vivre qui se dégage des habitants rend l’atmosphère étrange par son apparente contradiction. Un habitant m’a même affirmé que la formidable vie sociale dont il bénéficie ici serait un frein à son départ du bidonville, même s’il en avait les moyens. La misère est évidemment là, mais elle n’est que matérielle. À Kibera, même si les progrès sont lents, la désolation est côtoyée par l’espoir.