Les personnes itinérantes sont dans une situation qui les met généralement à l’écart du reste de la population. Cela mène à une méconnaissance de l’identité de ces personnes que l’on croise pourtant tous les jours. Des préjugés se forment alors, se mêlant à de l’incompréhension, parfois de la compassion, mais aussi à du mépris ou de la peur. Or les personnes qui sont en situation d’itinérance sont des citoyens, qui souffrent d’une situation difficile mais qui n’ont pas toujours été dans la rue et qui ne le seront pas toujours : ils ont donc une trajectoire particulière, mais ne se déshumanisent pas. Ils gardent ce qui les singularise en tant qu’individus, ils gardent leur histoire, leur imaginaire, leur humour et leur créativité. Allant ainsi à l’encontre des idées préconçues je veux montrer dans mes photos que les personnes en situation de précarité gardent toute leur humanité, et donc tous les droits qui sont reconnus à chacun d’entre nous dans notre société.
A propos de la réalisation :
J’ai réalisé ces portraits avec des itinérants qui le souhaitaient, au cours de « l’État d’Urgence 2010 » organisé à Montréal par l’ATSA, qui se veut être un grand happening annuel autour de la question de l’itinérance affichant la volonté de réfléchir esthétiquement et humainement à la condition de l’errance et de la précarité.
J’y ai installé un studio photo, dans lequel était proposés des accessoires variés allant de la perruque à la peluche en passant par une valise, un globe terrestre, des chapeaux… J’ai alors invité des itinérants à venir se faire photographier, en leur laissant la liberté de pouvoir se mettre en scène eux-mêmes si ils le souhaitaient. Cette mise en scène pouvait être fictive ou représenter un moment de leur vie. Dans les cas ou ils hésitaient, je leur proposais différentes options et ils choisissaient ce qui leur convenait le mieux. Certains ne voulaient qu’un portrait simple, sans accessoires et frontal, d’autres prenaient des poses, et d’autres enfin ont créé des mises en scène plus complexes. A la suite de la séance photo, ils pouvaient alors choisir le cliché qu’ils préféraient et repartaient avec une photo imprimée.
Au delà donc d’un projet strictement personnel, un projet du photographe, cela visait deux autres objectifs :
Tout d’abord, pour les personnes photographiées : itinérantes, elles ont généralement un déficit dans l’estime d’elles-mêmes, comme certaines me l’ont montré en refusant tout d’abord d’être prises en photo, non pas par timidité ou inintérêt, mais simplement car elles ne voyaient pas en quoi cela pouvait être intéressant, c’est-à-dire pourquoi elles, qui se sentent souvent rejetées, mériteraient d’être photographiées dans un studio. Leur montrant mon intérêt à cet égard, dan le cadre d’un projet ni commercial ni d’actualité, elles pouvaient ainsi réaliser que oui elles étaient dignes de se faire prendre en portrait, et même que l’on prenne du temps pour que la photo soit belle et que eux-mêmes soient mis en valeur. Ensuite, la mise en scène permettait ou bien de les mettre dans une situation les faisant sortir complètement de la représentation d’ « itinérants » qu’ils perçoivent d’eux mêmes et qu’on leur rappelle trop souvent, ou bien au contraire de la mettre en scène, et de permettre une expression de ces sentiments, de les communiquer. Enfin, le fait d’imprimer la photo immédiatement après la séance leur permettait de se voir dans cette situation de portrait, c’est à dire de poser un autre regard sur eux-mêmes, de réaffirmer leur dignité en ne se voyant plus que comme un itinérant, et de pouvoir par la suite, en la montrant à leurs amis ou connaissances, d’être fiers d’eux mêmes, de leur photo, de la manière dont ils se sont représenté, toujours en s’éloignant de ce qui n’est finalement qu’une caractéristique provisoire de leur vie.
Ensuite, par la diffusion auprès du grand public des clichés des personnes qui l’ont accepté, j’ai la conviction que cela peut également permettre de rappeler que l’itinérance n’est que la condition d’un individu, que ce n’est ni ce qui le défini, ni ce qui caractérise sa personnalité. Il n’est à mon avis jamais superflu de réaffirmer que, comme tout être humain, ils ont de l’humour, de l’imagination, ils ont une histoire et des choses à raconter. Que le public puisse s’en rendre compte, à travers ces photos, est essentiel pour ne pas oublier qu’ils et elles sont des citoyens et citoyennes à par entière dans notre société, et que leur condition d’itinérant, si difficile soit-elle, ne parviendra jamais à les déshumaniser, et qu’ils ne doivent donc pas l’être à nos yeux.
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Beyond Homelessness
I made this series by organizing a workshop with some homeless people in Montréal, Canada. I was wishing to allow them to be confident enough in themselves to realize a portrait that they will like. I had every accessory ready for them but they had to stage themselves accordingly to who they are and to their personal history. Thus, those pictures give the possibility to have another look on the homeless condition and specifically on the people behind it. This series is indeed showing that those persons are actually homeless, but cannot be defined only as homeless. Finally, this work achieved three goals: give some confidence to the people I was working with, give them the opportunity to look at themselves in a way that do not only recall them their present condition, and also make the audience of the picture having another look on homeless people.